Le GNDA écrit au ministre de l'économie sociale à propos du projet de loi cadre relative à l'Economie Sociale et Solidaire
Monsieur le Ministre délégué à l'économie sociale et solidaire,
En qualité de directeurs généraux d’associations du secteur social et médico-social, nous souhaitons apporter notre contribution aux travaux préparatoires à la loi cadre relative à l’économie sociale et solidaire. Ce projet législatif nous paraît essentiel pour les associations que nous dirigeons qui sont des acteurs majeurs de l’action sociale et médico-sociale et, de ce fait, des acteurs de la démocratie locale, du développement des territoires et, surtout, d’une économie fondée sur la réciprocité et la solidarité, valeurs qui sont au cœur de l’économie sociale et solidaire.
Nos travaux récents attestent de l’intérêt que portent nos adhérents, employeurs essentiels du tiers-secteur, aux enjeux de l’économie sociale et solidaire[1]. Nos activités d’insertion sociale, d’accompagnement et d’aide à des personnes en situation de handicap ou confrontées à la dépendance ou au grand âge, à des personnes ou des familles en difficultés sociales ou éducatives, à des mineurs en danger, etc. situent nos associations dans une position d’interface privilégiée entre les décideurs des politiques publiques et les territoires et leurs habitants. Fortement professionnalisées, nos associations développent une compétence technique et une qualité organisationnelle qui en font des moteurs du développement de l’économie sociale et solidaire. Elles reposent sur une gouvernance démocratique, assumée par des membres de la société civile, et portent la volonté d’associer toujours d’avantage leurs parties prenantes. Elles mobilisent des ressources bien au-delà de la seule subvention publique en associant bénévolat et salariat. Elles mettent en acte le principe démocratique de délibération en jouant une fonction de veille des besoins sociaux émergents. Elles développent de l’emploi de proximité, non-délocalisable, et participent à la qualification des professionnels de l’intervention sociale. Elles travaillent en réseaux, notamment par l’intermédiaire de leurs fédérations, et assurent ainsi un maillage social des territoires.
Forts de cette expérience, de ce savoir-faire et de ces valeurs, il nous semble donc pertinent de proposer une contribution aux travaux de consultation en cours. Ceux-ci nous permettront d’aboutir à une loi ambitieuse qui apportera au tiers secteur la reconnaissance dont il a fortement besoin. Cela, dans un contexte de domination des lois du marché et des pratiques concurrentielles qui les accompagnent.
Vous trouverez donc, ci-joint, quelques propositions de notre groupement en vue de l’élaboration de la loi cadre en préparation. Nous sommes persuadés que vous saurez en tenir compte et vous en faire l’écho auprès des instances et groupes de travail concernés.
Nous sommes à votre disposition et vous proposons de vous rencontrer, selon votre convenance, pour échanger plus avant sur les questions soulevées.
Nous vous prions de recevoir, Monsieur, Madame, nos meilleures salutations.
Les coprésidents du GNDA :
Xavier BOMBARD Roland JANVIER
Personnalités destinataires de ce courrier :
- Monsieur Benoît Hamon, Ministre de l’économie sociale
- Madame Marisol Touraine, ministre des affaires sociales
- Monsieur Fabrice Heyries, Directeur Général Cohésion Sociale
- Madame Nadia Bellaou, Présidente de la CPCA
- Monsieur Claude Alphandéry, Président du CSESS
- Monsieur Jean-Louis Cabrespines, Président du CNCRES
- Monsieur Yannick Blanc, Président de la FONDA
- Monsieur Dominique Balmary, Président de l’UNIOPSS
- Monsieur Antoine Dubout, Président de la FEHAP
- Monsieur Guy Hagège, Président de la FEGAPEI
PROPOSITIONS A PROPOS DU PROJET DE LOI CADRE
RELATIVE A L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
A propos de la définition de l’économie sociale et solidaire :
Nous insistons sur la nécessité que la définition qui figurera dans la loi englobe bien l’ensemble des activités économiques et sociales qui participent d’une économie alternative ne se référant pas au modèle de l’économie lucrative pas plus qu’au modèle de l’économie publique. La loi ne peut se limiter à donner de la visibilité aux seules coopératives ou mutuelles, habituellement plus reconnues socialement. Autrement dit, il nous semble important que la définition de l’économie sociale et solidaire fasse une large place au secteur associatif, d’ailleurs le plus important en termes d’emplois, et en son sein aux associations d’action sociale (ce terme regroupant dans le présent document les associations intervenant dans le domaine social et médico-social).
A propos des institutions concourant à la mise en œuvre et au développement de l’économie sociale et solidaire :
La définition des instances qui confirmeront, sur le terrain, l’assise législative conférée aux organismes de l’économie sociale et solidaire est, à nos yeux, déterminante. Notre expérience dans le secteur social et médico-social, marquée ces dernières années par la montée en puissance de logiques de contrôle et d’instrumentalisation des associations d’action sociale, nous amène à alerter sur le fait que les instances de l’économie sociale et solidaire ne doivent pas reconstituer des organes de surveillance d’un champ d’action où doivent prédominer la capacité créatrice et l’innovation.
Cette remarque demande donc une vigilance particulière si un processus de labellisation devait s’instaurer, quelle que soit sa forme. Un dispositif de reconnaissance par les pairs, en partenariat avec la puissance publique serait sans doute une piste féconde.
En ce qui concerne la promotion et le développement de l’économie sociale et solidaire dans le cadre des schémas de développement économique, nous insistons sur le fait que l’économie sociale et solidaire est une opportunité pour articuler autrement l’économique et le social. La loi peut ainsi ouvrir des pistes de travail qui mettent en complémentarité les logiques économiques avec la prise en compte des problématiques sociales des groupes humains les plus fragiles ou les plus éloignés du jeu économique. En ce domaine, la participation de nos associations, via leurs réseaux, à tout effort de planification sera fructueuse. Cela suppose donc une participation privilégiée des représentants du secteur associatif d’action sociale dans les instances nationales, régionales et départementales,.
Cette participation de représentants des associations d’action sociale est importante au sein des instances consulaires régionales de l’économie sociale et solidaire qui sont en projet. Elle pourrait se situer à deux titres : d’une part au niveau de la représentation en qualité d’employeurs où des complémentarités sont à établir entre l’UNIFED et l’USGERES pour ce qui concerne le dialogue social, d’autre part au titre des fédérations qui se situent dans le dialogue politique et portent la préoccupation des enjeux socio-politiques des évolutions sociétales.
En ce qui concerne les financements de la vie statutaire des associations, les associations d’action sociale, bien que bénéficiant de subventions publiques, ne doivent pas être mises à l’écart de la construction de modes de financements permettant la prise en compte pleine et entière de la dimension citoyenne de leur activité indépendamment du financement de leurs missions autorisées qui peine de plus en plus à intégrer la vie statutaire de l’association gestionnaire.
A propos de la définition des entreprises sociales et solidaires :
Il nous paraît important que la loi ne confonde pas la définition des établissements et services sociaux et médico-sociaux donnée par l’article L.312-1 du Code de l’Action Sociale et des Familles avec la qualité d’entreprise sociale et solidaire qui ne peut être donnée qu’aux personnes morales gérant ces établissements. En effet, il nous semble que l’entreprise sociale et solidaire doit répondre à des critères d’une autre nature que la seule réponse à des besoins communs ou d’intérêt général.
La qualité d’entreprise sociale et solidaire, outre l’activité qu’elle développe, doit impérativement être associée à des principes fondamentaux de gouvernance démocratique, notamment le fondement « un homme égale une voix ». De plus, la visée de l’économie sociale et solidaire suppose que l’objet de l’entreprise sociale et solidaire dépasse le cadre de ses activités au profit d’une ambition politique de transformation sociale (économie alternative, développement social local, progrès social…).
Par ailleurs, l’hypothèse d’une labellisation des entreprises sociales et solidaires doit, selon nous, être clairement distinguée de l’autorisation et de l’habilitation qui prévalent pour les établissements et services du secteur social et médico-social. Une telle confusion aurait pour effet de rabattre la reconnaissance vers les seules autorités compétentes en action sociale et médico-sociale (services déconcentrés de l’État, Agences Régionales de Santé, Conseils Généraux) alors que la reconnaissance projetée par la loi est une opportunité pour identifier, parmi les organismes gestionnaires de ce champ d’activité ceux qui relèvent explicitement de l’économie sociale et solidaire et ceux qui n’en relèvent pas, dont les organismes lucratifs.
En tant que dirigeants d’associations, nous sommes particulièrement attachés aux valeurs de la non-lucrativité. En ce sens, nous insistons pour que la limitation de l’échelle des rémunérations constitue un critère décisif de la qualité d’entreprise sociale et solidaire. Mais d’autres éléments sont aussi importants tels que le lien qu’entretient l’organisation aux territoires où elle intervient, lien qui doit être solidaire et axé sur la promotion des habitants et le développement local. Des critères tels que la stabilité des emplois et leur sécurisation, notamment au moyen de conventions collectives reconnues, et des pratiques réelles de développement durable respectueuses de l’environnement dans toutes ses dimensions doivent être privilégiés.
Concernant les dispositions spécifiques aux associations :
Le développement par les collectivités publiques de pratiques d’appels d’offre ou d’appels à projets représente, pour les associations d’action sociale, une réelle difficulté. Ces méthodes, qui introduisent la concurrence en lieu et place de la co-construction de réponses efficientes aux besoins des habitants, s’opposent aux valeurs de nos organisations et ainsi au développement authentique d’une économie durable, solidaire et au service de l’intérêt général.
Des dispositions spécifiques devraient permettre que les « entreprises sociales et solidaires », lorsqu’elles interviennent dans des actions relevant de l’intérêt général ou de l’utilité sociale, échappent en tout ou en partie à une mise en concurrence. Cela dans le cadre du dispositif légalisé de l’économie sociale. Ceci nous paraît d’autant plus important à l’égard des opérateurs du secteur marchand qui disposent de moyens techniques et logistiques faussant l’égalité de traitement avec nos associations. Une telle disposition serait, à nos yeux, une garantie essentielle de la promotion de l’économie sociale et solidaire dans le développement des actions sociales et médico-sociales.
Dans le même sens, la loi doit encourager et favoriser les modes de coopérations entre les entreprises sociales et solidaires d’un même territoire.
Enfin, la loi devrait permettre une plus grande diversité des solutions juridiques permettant la diversification des organisations, notamment par le truchement d’activités filialisées. Nos associations ne disposent pas de structures juridiques adéquates, cohérentes avec l’économie sociale et solidaire, quand elles ont besoin de créer, par exemple, des entreprises d’insertion selon un statut juridique dédié ou encore une forme juridique de gestion de biens immobiliers. La loi devrait ainsi créer des correspondances spécifiques à l’économie sociale et solidaire de modèles tels que la société anonyme ou la société civile immobilière.
Pour le GNDA, les coprésidents du GNDA :
Xavier BOMBARD Roland JANVIER
[1] - Journée d’étude de Paris en mars 2010 « L’économie sociale et solidaire, une référence pertinente pour les associations d’action sociale » ;
- séminaire d’Orléans en octobre 2010 « Changement d’environnement, les associations d’action sociale sont-elles durables ? » ;
- séminaire de Montpellier en septembre 2011 « Besoins sociaux et préimètres d’intervention : quels territoires pertinents ? » ;
- journée de Paris en mars 2012 « Politique sociale et de santé : quels acteurs pour quelle démocratie ? » ;
- séminaire de Bourg en Bresse en septembre 2012 « Ancrage territorial, modèle de développement et formes de dirigeance »…
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Propositions du GNDA à propos du projet de loi cadre relative à l'Economie Sociale et Solidaire | Mardi, 6 Novembre, 2012 | Lire le document |